Un vent froid soufflait sur les Cimefroides, et la neige tombait sur la Vallée de Tromigar. Les flocons s'empilaient sur le toit de chaume de l'Auberge de Tragg, petit bâtiment de pierre perdu au milieu des Congères d’ Antreneige. L'intérieur comme l'extérieur étaient très modestes et les clients étaient rares, hormis les quelques habitués, des bucherons pour la plupart.
A la première table à gauche, siégeait un asura. Comme tous les asuras, il ne devait pas dépasser le mètre vingt, et sa tête, ses mains et ses pieds étaient exagérément gros par rapport à son corps mince. Il avait une peau bleu clair, tirant un peu sur le gris, et des cheveux gris foncé relevé en brosse au dessus de sa tête. Ses grands yeux d'un bleu profond observaient ce qui se passait autour de lui pendant que sa main droite jouait distraitement avec ses oreilles tombantes.
- Voilà votre bol de bouillon aux herbes, dit un norn trapu en déposant le bol sur la table, à côté du casque de l'asura.
- Merci, répondit Romain en souriant, dévoilant toute une rangée de dents pointues.
Le norn l'observa un instant avant de faire demi-tour et de retourner derrière le bar. Il faut dire qu'il était rare de croiser un asura dans cette région. En effet, les Cimefroides, pays constitué essentiellement de montagnes, de neige et lacs gelés, était le territoire des norns. Les norns étaient réputés pour être de grands guerriers, grâce à leurs carrures extraordinaires et leur force incroyable, rien ne pouvait leur résister très longtemps. La plupart du temps, hommes comme femmes, ils mesuraient toujours aux environ de deux mètres et avaient des épaules larges. Les hommes portaient tous une longue barbe, souvent tressée, et les femmes arboraient des formes généreuses et des coiffures magnifiques. En dehors de ça, ils ressemblaient à de grands humains.
Romain remuait distraitement sa soupe de sa cuillère en bois, se remémorant comment il avait pu atterrir dans une petite auberge coincée entre deux énormes montagnes. Six mois plus tôt, il quittait sa terre natale, Rata Sum, la capitale asura. Rejeté par ses pairs à cause de son empathie trop prononcée et de sa bienveillance. En effet, les asuras accordent plus de valeur à l'intelligence et à la supériorité intellectuelle qu'aux autres attributs. Un asura doit dédier toute sa vie à construire un portfolio de projets réussis ou devenir le plus grand expert dans un domaine précis des arcanes. Ils cherchent constamment à prouver leur supériorité intellectuelle et cela se traduit généralement par un caractère arrogant et impoli. Chez eux, l'empathie, la bienveillance, la compassion et l'altruisme sont des faiblesses. Et ils ne peuvent pas se permettre de garder les plus faibles à leur côté, sinon qu'adviendrait-il de leur supériorité ?
Romain avait perdu ses parents l'année précédente, morts dans l'explosion de leur laboratoire. Ils étaient spécialisés dans la construction de golems médicaux. Ils avaient lutté durant plusieurs années pour faire accepter leur projet de golems soigneurs aux chefs de coterie. Romain tenait toutes ses qualités bienveillantes de sa mère, et de son père il avait hérité une intelligence hors norme. Ses parents l'avaient longtemps protégé des autres asuras, lui donnant des cours à la maison, et lui apprenant à gérer seul ses pouvoirs. En effet, petit, alors qu'il apprenait à peine à marcher, Romain avait échappé à la surveillance de ses parents et s'était retrouvé errant dans leur laboratoire. Il s'était assis dans la machine de construction des golems, et avait été retrouvé par ses parents quelques minutes plus tard. Mais son périple dans la machine lui avait laissé quelques séquelles, une longue cicatrice sur le torse et des pouvoirs curatifs. Depuis ce jour, Romain pouvait soigner d'un claquement de doigt toute blessure superficielle, mais plus la blessure était grave, plus cela lui coutait d'énergie.
Il fut sorti de ses pensées par un énorme norn s'installant sur la chaise en face de lui. Romain fut d'abord surpris par sa taille, ce norn était le plus grand et le plus imposant qui lui avait été donné de voir. Puis, il fut frappé par l'éclat blanc de ses cheveux et de sa barbe. Contrairement à ce que la couleur de sa pilosité laissait à penser, le norn était à peine âgé de 25 ans. Ses longs cheveux étaient remonté en queue de cheval sur le haut de son crane, une petite mèche rebelle s'était néanmoins échappé de son nœud pour venir retomber sur les lunettes rectangulaires qui trônaient sur le nez du norn. Il arborait une courte barbe qui tombait sur son armure lourde.
Après avoir avalé une grande gorgée de sa choppe de bière, le norn regarda Romain et lui demanda :
- Alors, que fait un asura si loin de chez lui ? Tu t'es perdu, mon ami !
Romain fut surpris par le ton chaleureux qu'avait utilisé le norn. C'était la première fois que quelqu'un, autre que ses parents, lui parler de façon si sympathique. Il lui sourit franchement avant de répondre :
- Hé bien, disons que j'avais envie de voir du paysage.
- Ca doit beaucoup te changer de Rata Sum et ses alentours !
- Oui beaucoup! Avant d'arriver ici, je n'avais jamais vu de neige. Et je n'avais jamais eu à subir des températures aussi basses, répondit Romain, en buvant une grande gorgée de bouillon.
- C'est vrai qu'il fait drôlement froid ces derniers temps! Moi même, bien qu'étant un norn, je gèle sur place. Mais bon, j'ai passé cette dernière année à l'Arche du Lion, donc je ne suis plus habitué aux températures.
- A l'Arche du Lion? Je pensais que les norns quittaient rarement leur pays natal.
- Effectivement, la plupart des norns restent ici toute leur vie, mais pas moi. Je suis parti très jeune à la recherche d'aventure, je voulais obtenir la gloire, devenir un grand guerrier, tout ça... , répondit le norn avec un signe de main.
Romain sourit. Les norns étaient obnubilés par la gloire, ils voulaient accomplir des actions tellement incroyables qu'on chanterait leurs louanges durant les siècles à venir.
- Et où en es-tu dans ta quête de célébrité? , demanda l'asura en souriant.
- Hé bien, peut-être est-ce aujourd'hui que je me ferais un nom parmi les légendes!
Le norn but une grande gorgée de bière, finissant du même coup sa choppe. Il fit un signe à l'aubergiste qui s'empressa de la lui remplir à nouveau.
- J'ai été envoyé ici pour mettre hors d'état de nuire un shaman qui sert le grand dragon de glace, Jormag. Et par la même occasion, j'aimerais lui faire cracher le morceau sur l'endroit où se trouve son maitre. J'ai des comptes à régler avec ce dragon.
- Beaucoup doivent être dans ton cas. Je connais l'histoire de Jormag, ce dragon corrompt les esprits des norns pour qu'ils le servent jusqu'à ce que mort s'en suive. Une fois qu'il a corrompu leurs esprits, il leur ordonne de revenir chez eux et de tuer leur famille.
Romain releva la tête de son bol de soupe et observa le norn un instant. Ce dernier avait les yeux dans le vague, et ses traits s'étaient durcis. Le jeune asura ressentait la peine que le norn éprouvait, il décida donc de relancer la conversation sur un autre sujet.
- Tu dis que tu as été envoyé ici, tu as toi aussi un maitre qui te donne des ordres? , lança l’asura sur le ton de l'humour.
Le norn releva la tête et émit un rire franc avant de répondre.
- Oui, on peut dire ça. Et il est moins tyrannique que Jormag. Quoi que... , dit-il en souriant. Je rigole, mais j'ai de la chance qu'il ne m’entende pas dire ça, ajouta le norn en riant.
Romain rit franchement.
- En fait, il y'a quelques années, j'ai rejoint une guilde, reprit le norn. Une bande d'aventuriers si tu préfères. Mais moi qui ne recherchait rien de plus qu'un groupe pour menait des expéditions, j'y ai trouvé bien plus.
Romain avait remarqué que le ton du norn avait changé au cours de la conversation. L'humour avait fait place à l'émotion, et grâce à ses pouvoirs, Romain pouvait ressentir l'amour que ressentait le norn pour sa guilde. L'asura, un peu gêné de la situation, fit une tentative d'humour.
- Ah? Ils t'ont offert un gros tas d'or pour les rejoindre?, lança-t-il en souriant.
Contrairement aux rires que Romain s'attendait à entendre, le norn le regarda en souriant et répondit doucement :
- Non, mieux que ça. Ils m'ont offert une famille.
Romain lui renvoya son sourire, et ils restèrent plusieurs minutes à regarder par la fenêtre sans parler. Ce fut Romain qui brisa le silence en premier.
- Je sais qu'on vient seulement de se rencontrer, mais je me demandais... Ca fait un moment que je suis seul maintenant, et j'aimerais moi aussi trouver une famille qui m'accepterai. Tes amis, ils recherchent d'autres aventuriers pour se joindre à eux?
Le norn lui sourit franchement, et lui répondit:
- On cherche toujours de nouveaux amis qui pourraient se joindre à nous. Mais je te préviens, on n’entre pas comme ça dans la guilde. Tu devras certainement passer des tests, et te plier à la volonté du chef de guilde. Si tout ça te parait acceptable, je veux bien t'amener les rencontrer après ma mission.
- Ca me va, répondit l'asura en souriant.
- Bien, répondit le norn en finissant sa deuxième choppe de bière. Maintenant, si tu veux bien m'excuser je vais soulager un besoin naturel et aller me coucher, parce que j'aimerais partir tôt demain matin.
Romain hocha la tête en souriant pendant que le norn se levait de sa chaise en titubant légèrement.
- Je me lèverai tôt aussi et viendrai te souhaiter bonne route mon ami, dit le petit être en se levant à son tour.
- Merci petit asura, répondit le norn.
- Romain. Je m'appelle Romain, le reprit l’asura.
- Enchanté Romain, moi c'est Dumblebear, répondit le norn en souriant et en lui tendant son énorme main.
Romain se mit sur la pointe des pieds pour serrer les deux premiers doigts de la main qui lui était tendue.
- A demain Dumblebear, lui dit-il en souriant, avant de récupérer son casque qui restait sur la table et de monter les escaliers qui menaient à sa chambre.
Le lendemain matin, Romain descendit tôt de sa chambre pour rejoindre Dumblebear qui empaquetait quelques provisions en prévoyance de son expédition.
- Déjà réveillé ? , lui demanda Dumblebear en le voyant approcher.
- Je t’avais dit que je viendrais te souhaiter bonne route, lui répondit l’asura en souriant, et puis, j’avais l’intention d’aller faire du troc avec les Jotuns. L’aubergiste m’a indiqué l’endroit où je pourrais les trouver.
- Bonne idée ! Tu pourrais y trouver des objets intéressants.
- Et toi, tu sais par où tu vas commencer à chercher ce shaman ?
- Pas vraiment. J’ai vu quelques grottes au nord d’ici en arrivant. Je pense que je vais commencer mes recherches par là-bas, lui répondit le norn.
- Avant d’arriver à l’auberge, j’ai vu une grotte qui portait les marques des Fils de Svanir, les norns corrompus par le dragon. Pars en direction du nord est, tu devrais la trouver après quelques heures de marche, lui conseilla Romain.
- Je te remercie pour tes indications, mon jeune ami, lui répondit le norn en souriant. Bien, je vais me mettre en route, ajouta-t-il en lançant son sac à dos sur son épaule. Je serais de retour au plus tard après-demain, et je te mènerais jusqu’au QG de ma guilde.
- Bien ! Bon voyage et bonne chance à toi, lui dit Romain en souriant.
- De la chance ? Je n’ai pas besoin de chance, j’ai seulement besoin de talent, et ça j’en ai à en revendre, lui lança le norn en lui faisant un clin d’œil.
Romain se mit à rire, tandis que le norn s’éloignait, marchant vers sa mission.
Le jeune asura passa la journée à faire du troc avec les Jotuns. Ces géants des glaces étaient impressionnants mais ne brillaient pas par leur intelligence. Ils savaient à peine parler, se contentant souvent de grognements ou de hochements de tête pour communiquer. Romain échangea quelques vis et boulons qui trainaient dans son sac de voyage contre des crèmes curatives que préparaient les Jotuns. Il rentra le soir à l’auberge, complètement épuisé par les négociations de la journée. Comme la veille, il but un énorme bol de soupe avant de s’effondrer sur son lit.
Il passa la journée du lendemain à ramasser plantes et champignons en tout genre qui pourraient lui permettre de créer des baumes et autres crèmes capable de soigner, en prévision du long voyage qui l’attendait. Il marcha aussi jusqu’au village le plus proche afin d’acheter des provisions en tout genre. Bien que maigres, Romain se dit que ces provisions leur permettraient au moins d’atteindre Hoelbrak, la capitale norne, sans de mourir de faim. Le jour d’après, il avait préparé ses affaires et attendait impatiemment le retour de Dumblebear. Il s’était assis près de la cheminée et avait lu une grande partie de la journée. En fin d’après-midi, une énorme tempête de neige s’était déclenchée, un vent fort et glacial s’était mis à souffler sur l’auberge et un gigantesque manteau blanc avait recouvert entièrement le paysage. Romain resta assis sur le fauteuil près de la cheminée jusque tard dans la nuit, trop inquiet pour son ami pour pouvoir dormir.
A son réveil le lendemain matin, Romain constata que la tempête ne s’était pas calmée, elle s’était même amplifiée. Le jeune asura se posta devant la fenêtre de l’auberge, et faisait les cents pas en espérant apercevoir la silhouette de Dumblebear émerger de la couche blanche qui avait recouvert les alentours. Malheureusement, à la fin de la journée, il dut se rendre à l’évidence : Dumblebear avait disparu. Le jeune asura en était persuadé, il était arrivé quelque chose à son ami. Sa décision était prise, il partirait dès le lendemain matin à la recherche du norn.
Aux premières lueurs de l’aube, Romain était prêt. Il avait d’abord revêtu plusieurs couches de vêtements chauds avant de mettre sa lourde armure de métal bleu et blanc. Il glissa sa grande épée dans son dos et enfila son casque sur la tête. Seuls ses yeux et ses oreilles tombantes étaient visibles, ce qui lui donnait un air menaçant. Après avoir pris quelques provisions dans sa besace, Romain donna quelques indications sur sa destination à l’aubergiste, lui priant de bien vouloir lui envoyer de l’aide s’il ne réapparaissait pas dans les trois jours. Le jeune asura passa la porte d’un air assuré et fut frappé par un vent glacial, le gelant jusqu’aux os. Il resserra l’écharpe qu’il avait passé autour du cou, et remonta bien ses gants avant de se lancer dans son périple.
Comme il l’avait indiqué quelques jours plus tôt à son ami norn, Romain prit la direction du Nord Est. L’avancée était difficile et fatigante. La neige qui était tombée ces derniers jours s’était entassée sur plusieurs centimètres, et Romain, dont la petite taille était un réel avantage lors des combats mais un énorme défaut dans le cas présent, s’enfonçait de plus en plus dans le manteau gelé. La plupart du temps, seule sa tête dépassait de la neige, mais par moment, il marchait dans un trou et s’enfonçait totalement dans la poudreuse. Rapidement, il coupa une grande branche de sapin et s’en servit comme d’une canne afin de voir ce qui se cachait sous la couche blanche.
Plus Romain avançait, plus il avait l’impression que la tempête de neige redoublait d’intensité. En partant le matin même, il arrivait à discerner des formes à plusieurs mètres devant lui alors que maintenant il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Il frappait automatiquement le sol devant lui afin de s’assurer de ne pas tomber dans une crevasse. Mais au milieu de l’après-midi, son bâton rencontra une surface molle. Intrigué Romain se mit à creuser la neige et se retrouva nez à nez avec le cadavre d’un norn. A sa tenue et au tatouage qu’il avait sur le front, Romain l’identifia tout de suite comme étant un Fils de Svanir. Cette découverte, bien que macabre, rassura Romain sur le fait qu’il était sur la bonne route. Une cinquantaine de mètres plus loin, Romain buta sur la même surface molle et rencontra à nouveau le cadavre d’un Fils de Svanir. Il en fut de même jusqu’à ce qu’il aperçut l’entrée d’une grotte décorée de totem représentant le grand dragon Jormag. Romain sourit sous son casque en pensant que Dumblebear avait dû jouer à une version funèbre du petit poucet.
Il dégaina son espadon et avança prudemment. Le bruit du vent s’engouffrant dans la caverne couvrait tout autre bruit. Romain remarqua rapidement les traces de sang qui recouvraient le sol et, très vite, de nouveaux cadavres firent leur apparition. Le jeune asura avançait prudemment et silencieusement. Il s’était bien enfoncé dans la grotte et seules quelques torches sur le point de s’éteindre empêchaient l’obscurité de prendre entièrement possession des lieux. Il arriva à ce qui lui semblait être le fond de la grotte, le sol était recouvert de morceaux de glace mélangés à du sang, comme si un énorme bloc de glace avait explosé, blessant les personnes qui l’entourait. Romain se baissa, et observa le sol, essayant de comprendre ce qui avait bien pu se passer. Quand tout à coup, il entendit un gémissement derrière lui. Il se releva en un éclair et pivota sur lui-même, brandissant son espadon, prêt à passer à l’attaque. Mais il n’y avait rien. Romain resta en garde durant les minutes qui suivirent, sans bouger, il surveillait les alentours, s’attendant à être attaqué. Un nouveau gémissement lui fit lever les yeux. A quelques mètres au-dessus de lui se trouvait une sorte de prison de glace, de laquelle pendait un morceau de tissu. Romain attendit quelques secondes en surveillant la prison de glace, lorsqu’il aperçut des cheveux blancs et la cage remuer. Romain sut immédiatement qui était retenu dans la prison de glace et d’un éclair, il se téléporta aux côtés de Dumblebear.
Lorsqu’il arriva, la cage se mit à remuer dangereusement. Romain s’accroupit pour stabiliser la structure et se tourna lentement vers son ami. Le norn était visiblement inconscient, et il était dans un sale état. En effet, le corps de Dumblebear était strié de plaies et une énorme stalactite était plantée dans sa cuisse. Romain regarda le visage de son ami, il était pâle, des gouttes de sueur coulaient le long de ses tempes et un énorme bleu décorait son œil droit. L’asura comprit qu’il devait agir rapidement avant que son compagnon ne succombe à ses blessures. Sa première priorité était de retirer la stalactite plantée dans la cuisse du norn, tout en empêchant que ce dernier ne se vide de son sang. Après, il devrait soigner l’infection qui s’était déclarée et faire retomber la fièvre du norn. Romain retira sa besace et d’un coup d’espadon découpa la corde qui la faisait tenir sur ses épaules. Il passa la corde autour de la cuisse du norn et la serra aussi fort qu’il put. Il prit un morceau de bois qui trainait dans son sac et le mit dans la bouche du norn. Le jeune asura expira un grand coup et se concentra aussi fort qu’il put. Il mit ses mains sur la stalactite, et tira dessus un grand coup. Le norn hurla, réduisant le bout de bois en miettes. Romain laissa tomber la stalactite qui s’écrasa quelques mètres en dessous d’eux. Il mit ses mains au-dessus de la blessure de son ami et ferma les yeux de concentration tout en murmurant les paroles qu’il avait apprises dès sa plus tendre enfance.
Sous ses doigts, la chair du norn se ressoudait lentement. Romain s’appliquait à recréer l’artère fémorale qui avait été sectionnée par le morceau de glace afin que le sang s’arrête de s’échapper de la plaie béante. Quelques secondes après, Romain se laissa tomber en arrière lentement. Il avait fini de reproduire l’artère et avait commencé à refermer la plaie, l’os n’était d’ailleurs pratiquement plus visible, mais le jeune asura était épuisé. Il chercha dans son sac et avala un morceau de pain. Non seulement le voyage jusqu’à la grotte l’avait fatigué, mais soigner une blessure aussi grave lui demandait beaucoup d’énergie. En fouillant dans sa besace, il retrouva quelques une des plantes qu’il avait cueilli les jours précédents son départ. Il sélectionna celles connues pour avoir des propriétés antipyrétiques et sortit le mortier et le pilon que son père lui avait offert quelques années plus tôt. D’un geste sûr et automatique, Romain mit les plantes dans le bol et commença à les pilonner jusqu’à obtenir une sorte de pate verte. Il en enduisit les plaies qui parcouraient le torse du norn, espérant que leur effet se déclenche rapidement. Après ce court moment de repos, il se remit à genou devant la cuisse du norn, replaça ces mains comme il l’avait fait précédemment, et se reconcentra. Une demi-heure plus tard, la chair s’était reformée, ne laissant qu’une plaie superficielle que Romain recouvrit d’un morceau de sa chemise. Il desserra la corde qui entourait la jambe du norn et prit le temps de vérifier si la température de ce dernier avait baissée avant de s’effondrer, mort de fatigue.
Il fut réveillé par des coups donnés sur son bras. Romain émergea difficilement du brouillard de sommeil, et l’obscurité de la pièce ne lui permettait pas de dire si il faisait jour, ni si il avait beaucoup dormi. Il se tourna vers Dumblebear et fut surpris de le voir conscient. Le norn, bien que toujours très pâle, essayait d’afficher un sourire.
- Alors tu m’as retrouvé, dit-il à Romain en souriant.
- Bien sûr, c’était un jeu d’enfant, répondit l’asura en lui rendant son sourire. Où en est ta recherche de gloire ?
Le norn émit un gloussement, ce qui lui déclencha une douleur affreuse, le forçant à grimacer et à se tenir les côtes.
- Tu as certainement une côte ou deux de cassées, dit Romain. Ca, ajouté à la plaie béante que tu avais à la jambe, sans parler de ton œil au beurre noir et des plaies qui recouvrent ton corps, j’espère que tes blessures seront à la hauteur des poèmes que les bardes chanteront à ta gloire !
Le norn émit un nouveau gloussement en se tenant les côtes.
- On fait un marché, je t’explique ce qui s’est passé et toi tu arrêtes de me faire rire s’il te plait, répondit Dumblebear après avoir repris son souffle.
- Ça marche, dit Romain en souriant.
Le norn inspira un grand coup en grimaçant avant de commencer son récit.
- Comme tu me l’avais indiqué, cette grotte était bien la demeure du shaman et de toute sa clique. Je me suis d’abord débarrassé des sentinelles à l’extérieur avant de pénétrer à l’intérieur. C’était facile, ils ne m’avaient pas repéré, mais à peine avais-je passé l’entrée qu’une bande de cinq de ces chiens me sont tombé dessus. J’ai bataillé plusieurs minutes, tranchant une tête ou un bras, empalant l’un, égorgeant l’autre. Bref, après le bruit qu’avait fait la bagarre, je savais que j’avais perdu l’effet de surprise. Trois autres me sont tombés dessus alors que j’essayais d’avancer. L’un d’eux a bien failli me trancher la tête avec sa hache d’ailleurs. J’ai reçu un coup de marteau dans le torse, c’est certainement ça qui m’a brisé une côte. Mais j’ai quand même continué à avancer. Quand je suis arrivé dans cette pièce, j’ai dû éliminer encore deux autres gardes avant de pouvoir me confronter au shaman. Je savais que je n’avais ni l’effet de surprise ni l’avantage de la forme physique après mes derniers combats, mais il fallait que je le tue. C’est là qu’à commencer notre combat épique, et c’est dommage que tu n’es pas été là pour voir ça d’ailleurs. Ce fut l’un de mes plus beaux combats.
Le norn fit une pause pour respirer, et Romain lui tendit une gourde. Après avoir bu une gorgée et remercié l’asura, Dumblebear reprit son récit :
- Alors qu’il m’avait mis au sol grâce à un coup de poing en pleine face, dit-il en montrant le bleu de son œil, le shaman a commencé à dire une incantation. Je reprenais mes esprits quand j’ai entendu le vent se lever et j’ai vu une sorte de mini tornade apparaitre juste derrière moi. J’ai profité du fait qu’il était concentré sur son incantation pour l’empaler avec mon espadon. Son corps se transforma en un bloc de glace, et il a littéralement explosé. Le souffle m’a projeté dans la tornade et alors que je m’envolais, j’ai réussi à m’accrocher à un barreau de cette prison de glace et à me glisser à l’intérieur. J’ai dû perdre connaissance peu de temps après, je ne me souviens de rien d’autre… Ça fait longtemps que tu m’as retrouvé ? , demanda-t-il.
- Non, je suis arrivé hier, mais ça faisait plus de quatre jours que tu avais disparu. J’en avais marre d’attendre, alors je suis venu te chercher, répondit Romain en souriant. J’ai retiré le morceau de glace que tu avais dans la jambe et j’ai essayé de refermer la plaie du mieux que j’ai pu. Et je t’ai badigeonné de baume pour faire redescendre ta fièvre.
- Merci, lui dit Dumblebear avec un faible sourire.
- Oh ne me remercie pas tout de suite, répondit Romain, il faut encore que je referme les plaies que tu as sur le torse et crois moi, ça ne va pas être une partie de plaisir pour toi. D’ailleurs, j’espère que tu n’as rien contre les cicatrices, parce qu’après ça, tu vas en avoir un paquet. Mais bon, il parait que les filles aiment ça, dit Romain en souriant. D’ailleurs, je me demande si tu n’as pas fait exprès de te blesser pour avoir des cicatrices et séduire une jolie norne !
Dumblebear se mit à rire, et s’arrêta aussitôt que la douleur de ses côtes se déclencha à nouveau.
- Je croyais qu’on avait dit que tu ne devais plus me faire rire, réprimanda-t-il Romain.
- Désolé, s’excusa l’asura en souriant. Bon, je vais m’occuper de tes plaies, ça va sûrement te bruler et tu risques de ressentir de gros picotements. Tu es prêt ?
Le norn hocha la tête pour toute réponse, tandis que Romain mettait ses mains au-dessus du torse de son ami en se concentrant.
Le lendemain, la fièvre de Dumblebear était tombée et Romain était épuisé d’avoir veillé sur son ami toute la nuit. Le norn était encore très faible, et ils avaient tous les deux très froid. Et pour couronner le tout, ils avaient pratiquement épuisé leurs réserves de nourriture. Romain commençait à vraiment s’inquiéter de la façon dont allait se terminer cette histoire. Il ne savait pas s’il aurait assez de force pour se téléporter en bas de la salle, et même si il le pouvait, il serait toujours trop épuisé pour retourner à l’auberge. Et dans tous les cas, il était hors de question qu’il abandonne Dumblebear ici. Alors qu’il commençait à désespérer de pouvoir un jour sortir de cette grotte, un bruit se fit entendre en dessous d’eux. Romain allait se pencher pour regarder ce qui se passait quand un éclair violet lui passa devant les yeux. Un homme se matérialisa à côté de lui. Il portait une armure légère violette et une grosse écharpe. Sa stature et le monocle sur son œil droit lui donnait un air noble. L’homme le regarda rapidement et s’accroupit à côté de Dumblebear.
- Comment vas-tu mon ami ?, demanda le mystérieux inconnu à Dumblebear.
- Illu ? Comme tu le vois, ça pourrait aller mieux. Comment m’as-tu retrouvé ?, demanda le norn, visiblement surpris.
- Je t’expliquerai ça plus tard, on doit vous sortir de là rapidement. Cette cage ne tiendra pas notre poids à tous les trois très longtemps. Je vous fais un portail préparez-vous.
Un rond violet apparu sous eux, tandis que le jeune homme se téléporta en bas de la pièce. Romain eu tout juste le temps de voir apparaitre un autre rond à côté de l’homme en bas, quand il fut happé par le premier rond. En un clignement, il se retrouva en bas, aux pieds de l’ami de Dumblebear.
- Gaënia et Glou-Glou sont en train de s’occuper de la tempête dehors. J’imagine que c’est le dernier cadeau que t’as fait le shaman avant de mourir, dit l’homme en regardant Dumblebear.
Ce dernier se contenta de hocher la tête. L’homme se tourna vers Romain et lui dit :
- Je suis Illusio, chef de la guilde La Bande Du Quaggan De Jade. Je pense que c’est à toi que l’on doit le fait de retrouver Dumblebear en vie ?
Romain, très intimidé, répondit en begueillant légèrement :
- Ou.. Oui, monsieur. Hum, je.. Je m’appelle Romain.
- Enchanté Romain, et merci d’avoir aidé mon ami.
Une jeune humaine et un sylvari entrèrent dans la pièce. Romain ne sut pas si il était plus surpris par l’accoutrement excentrique du sylvari ou par l’armure tellement brillante de l’humaine qu’elle éclairait toute la pièce. Illusio se retourna vers les nouveaux arrivants et d’un mouvement de tête, demanda un récapitulatif de la situation.
- Nous avons mis fin à cette tempête infernale, dit le sylvari.
Ils s’approchèrent et l’humaine se pencha sur Dumblebear.
- Ben alors mon gros nounours, t’as pas l’air très en forme !
- Ce shaman t’a mis une sacrée raclée, ajouta le sylvari.
- Quoi ? Bien sûr que non, je l’ai tué, donc c’est plutôt moi qui lui ai mis une raclée !, répliqua Dumblebear.
La jeune femme se retourna vers Romain et l’inspecta sous toutes les coutures avant de lever les yeux vers Illusio.
- Regarde, il est troooooop mignon avec son casque ! Dis, on peut le garder s’il te plait ?! Dis oui Illu !, dit-elle d’un air enjoué.
Ce qui provoqua un énorme soupir chez Illusio et un léger rire chez le sylvari. Romain se mit droit avant de se pencher pour saluer dignement les compagnons de Dumblebear.
- Madame, Monsieur sylvari, je m’appelle Romain, dit le jeune asura en se relevant.
- Oh, il est vraiment trooooooop chou, dit la jeune femme.
Romain haussa les sourcils de surprise, et le sylvari s’approcha en lui tendant la main.
- Ne fais pas attention, elle est… toujours comme ça en fait. Je suis Glou-Glou, enchanté. Dis-moi, petit asura, tu ne chercherais pas une guilde par hasard ?, demanda le sylvari.
Romain serra la main qui lui était tendu en souriant. Et pour toute réponse, il hocha la tête énergiquement, provoquant à nouveau le rire étouffé de Dumblebear.